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Franz Bartelt, Julius Dump, Puffigny et une paire de chaussures rouges

Le roman de Franz Bartelt qui vient de paraître s’intitule Ah, les braves gens ! Il nous arrive plus de deux ans après le précédent, ce qui semble correspondre au rythme adopté depuis quelques romans par l’écrivain. Comme le précédent, Hôtel du Grand Cerf, il est publié dans la collection “cadre noir” aux éditions du Seuil, confirmant le changement d’éditeur pour le romancier.

Julius Dump, plus ou moins écrivain, vient de perdre son oncle Georges et de découvrir, le jour même de l’enterrement de celui-ci, que son père a mené une carrière de tueur avant de mourir tranquillement dans son lit. Il a très peu connu ce père mais les papiers Ah, les braves gens ! (Seuil, 2019)qu’il a laissés et que son oncle a recueilli lui ont permis d’en savoir plus. Et de découvrir une énigme, concernant une affaire dans laquelle ce paternel a été impliqué. Un vol de tableau plutôt violent, la disparition de l’œuvre et l’identité cachée de l’autre rescapé de la bande ayant accompli le méfait. Seul indice, un nom, Nadereau, et un village, Puffigny. Le premier s’avérant introuvable, l’improbable écrivaillon décide de se rendre dans la commune en question. Perdue en pleine plaine, près d’un canal.

Il tombe d’abord sur un autochtone, Polnabébé, qui joue les guides tout en lui décrivant l’endroit où il arrive. Un endroit où les gens vivent d’histoires, en autarcie complète, les inventant quand il n’y en a plus, les enjolivant ou les pimentant quand elles ne présentent pas assez d’intérêt. Polnabébé, motard dont la moto est tombé en panne, lui indique où se trouve le café de la Gare, dont le patron, Gromard, est aussi le propriétaire de la maison que Dump a louée au bord du canal.

Alors qu’il parcourt les rues et les histoires de Puffigny, nous apprenons à mieux connaître ce tout imbriqué étroitement, tandis qu’un personnage mystérieux espionne notre narrateur-pseudo écrivain.

Une fille disparaît, un tableau est passé par là mais reste introuvable, les enquêtes et les intrigues alternent. Pour la première fois, la gendarmerie du village d’à côté, Gournay, investigue. D’habitude les histoires ne sortent pas de Puffigny, elles se règlent en vase clos.

Transformé en gloire locale, parce qu’il va écrire un livre sur la commune, notre gratte-papier passe des uns aux autres, un couple de rockers vieillissant, le gardien des archives intimes compromettantes locales, le compositeur original, l’éclusier, le maire, un détective d’opérette.

That is the question, comme le disait notre maître à tous, Sherlock Holmes.”

La richesse du patelin ne se limite pas à ses habitants, le histoires qui s’y sont construites en font aussi tout le sel, un curé exprimant ses fantasmes de manière scatologique, des jeunes filles séduisant un retraité ou le contraire, photos à l’appui, une femme prodiguant des soins très particuliers et la bière qui arrose le tout. Quand on passe à une autre boisson, vin blanc ou champagne, c’est qu’il y a de l’étranger dans le coin… et des conséquences, adultères ou autres.

“Le vin blanc, je ne dis pas que ça donne de mauvaises idées, mais je suis sûr que ça favorise celles qui existent et qui attendent leur heure.”

En six chapitres constituant autant de parties, Bartelt nous balade dans une intrigue qui pourrait faire penser à celle de l’Hôtel du Grand Cerf. Un étranger et la marée-chaussée s’insinuent dans la vie d’un village reculé, où le réseau n’est accessible que dans le rond central du terrain de foot d’un village voisin, et tout bascule. Pourtant tout cela ne trouble pas vraiment les habitants, les enquêtes étant absorbées dans les légendes ou histoires, on ne sait plus trop bien lesquelles sont d’un genre ou de l’autre.

C’est réjouissant, le romancier jouant même à nous prendre à témoin des ingrédients qu’il glisse dans l’intrigue pour la rendre plus proche des canons de l’édition et du succès, du sexe, de la romance, du sang, des nazis, des moines, du boudin et de la bière. C’est savoureux, même si, encore une fois, on a l’impression que l’auteur utilise une recette qui est la sienne depuis quelques temps et qui pourrait parfaitement s’inscrire dans la série des Poulpe, à laquelle il a d’ailleurs contribué avec un opus. Un inconnu qui débarque dans un endroit reculé…

Mais ça reste du Bartelt, avec tout ce qui fait qu’on aime le lire. On apprécie la description d’une communauté qui a ses propres habitudes et qui n’est, finalement, pas tellement différente de la société dans son ensemble. Les mensonges se mêlent à la vérité pour créer ce qui constituera l’histoire locale, comme celle des nations, après tout. Ce rapport à la vérité et à ce qu’on brode autour est d’ailleurs l’un des éléments intéressants du roman, incarné notamment par les enfants qui se nourrissent de tout ce qu’ils voient, de tout ce qui se passe, pour en enrichir leurs rédactions, leurs dessins, et autres productions scolaires. Inquiétant ?

“Les habitants se tiennent tous par la barbichette. Ils se nuisent et se protègent mutuellement. Ils n’existent que dans les embrouilles. Ils mentent sans arrêt. Ils inventent. On s’y perd. On a l’impression qu’ils vivent dans un faux conte de fées.”

En nous offrant sans en avoir l’air un miroir de notre monde et de la nature humaine, sur un ton, parfois cru, et dans un style particulièrement personnel, léger et avec un sourire en coin, fait de recul, de gentilles vacheries et d’un regard bien aiguisé, Franz Bartelt, prenant plaisir à jouer avec les mots, nous propose de nouveau un roman original, nous offrant une littérature qui lui est propre, loin des sentiers battus.

Comme à chaque fois qu’on referme son dernier roman, on se prend à espérer que le suivant ne tardera pas trop.

5 réflexions sur “Franz Bartelt, Julius Dump, Puffigny et une paire de chaussures rouges

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