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Virginie Despentes, de Pauline à Claudine

En 1998, deux ans après Les Chiennes savantes, Virginie Despentes voit son troisième roman publié. Il s’intitule Les Jolies choses et marque un changement de maison d’édition pour l’écrivaine, après Florent Massot, la voici chez Grasset.

 

Un couple en terrasse, Claudine et Nicolas. Elle, pas dans son assiette, lui, dans le doute. Il lui répète qu’il n’est pas convaincu par son plan. Sa sœur ne lui ressemble pas tant que ça.

Les Jolies Choses (Grasset & Fasquelle, 1998)Ces deux-là se connaissent depuis quelques temps, un peu après l’arrivée à Paris de Claudine, venue dans la capitale sur un coup de tête. Ils se connaissent et vivent un peu de la même manière, de coups, petits trafics. Claudine a su jouer de ses charmes et jouer avec les sentiments, sachant donner aux hommes ce qu’ils voulaient pour les convaincre de leur charme ou de leurs capacités sexuelles. Sachant aussi passer de l’un à l’autre. Nicolas a échappé à ça, ils sont devenus amis sans avoir éprouvé une quelconque attirance l’un pour l’autre.

Pour le moment, Claudine veut profiter d’une opportunité. Elle a convaincu un producteur grâce aux compositions de Nicolas et a dégotté la parfaite interprète en la personne de Pauline, sa sœur jumelle. Elle sera la voix et Claudine sera le corps. Incapable de chanter, elle fera du play-back sur les enregistrements de l’autre, qui ne tient absolument pas à être sur le devant de la scène.

Elle doit pourtant accepter de l’être pour la première puisque la chanson n’est pas encore enregistrée et qu’elle la chante pour convaincre les producteurs, en première partie d’un groupe. Et ça marche… malgré sa tenue sans glamour, plutôt grunge.

A leur retour du lancement de leur idée, dans la nuit parisienne, les voilà contraints à accepter d’aller plus loin. Pauline à se rapprocher de l’univers de sa sœur et Nicolas à faire la tournée des maisons de production, celle qui les ont relancés à peine leur première sortie effectuée.

Comme l’a perçu Claudine, il ne suffit pas d’avoir du talent pour réussir. La compromission paraît indispensable même si on veut jouer au plus malin et se contenter d’une avance… qui peut être substantielle comme Pauline l’a entendu juste avant son concert.

 

Virginie Despentes se penche de nouveau sur des êtres vivant en marge. Cette fois, plutôt que se venger de la société ou tout faire pour rester dans la marge, ils veulent en profiter, l’arnaquer… mais est-il si simple d’accepter ce qu’elle demande et de se retirer ensuite ? De s’en défaire quand on a plongé dedans ?

Pauline plonge et replonge après avoir découvert que même ceux qu’elles considéraient comme imperméables au superficiel ne le sont pas.

C’est une exploration que nous propose Despentes, celle d’un milieu qui joue avec ou récupère les marges mais reste à l’aune d’une société dont le but n’est pas l’épanouissement de chacun mais le profit maximum. Jusqu’à l’épuisement des individus, leur mise en danger, pourvu que ça rapporte, la compromission morale et sexuelle jusqu’au dégoût, on prend puis on jette. On trahit…

C’est une misère de soi, un malheur de ne pas se préserver. Pour n’avoir rien, en plus, qu’un ramassis de mauvais souvenirs qu’on se trimbale comme une âme perdue.

Même en ayant conscience de cette réalité, il peut s’avérer difficile de ne pas se prendre au jeu et de se croire plus malin en oubliant d’être raisonnable, d’en rester aux objectifs initiaux… Difficile de ne pas se griser devant certains miroirs aux alouettes… La domination et le pouvoir peuvent prendre tellement de formes différentes.

A sept huit ans, on croyait que ça leur passerait, cette manie de faire « pouet-pouet camion », mais que dalle, cinquante balais après c’est toujours aussi con qu’un môme, un mec.

 

Virginie Despentes affirme son style, son univers. Elle explore les failles, les faiblesses de l’être humain. Elle décrit aussi les travers de la société, ses aspects les moins reluisants et même les plus abjects, le tout en nous offrant un roman d’une réelle qualité avec un style qui la distingue des autres et des personnages particulièrement réussis, décrits avec une grande sensibilité. Elle observe aussi une ville, une rue, depuis une fenêtre ou en bas, ajoutant un aspect intéressant à son histoire, l’inscrivant dans cette époque qu’elle chronique avant qu’on ne l’oublie.

Métro Barbès, les pigeons roucoulent et chient sur les colonnes, deux types vendent des melons, beaucoup de monde, à côté d’elle une femme chante doucement, belle voix grave, un homme distribue des cartons roses, le sol en est jonché, cartes vertes, bleues ou jaunes.

Décidément, Despentes est à lire.

 

Le roman suivant paraît quatre ans plus tard, il a pour titre Teen Spirit et est, pour la première fois dans l’œuvre de l’auteure, centré sur un homme.

2 réflexions sur “Virginie Despentes, de Pauline à Claudine

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