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Marc Behm, Joe Egan et la dame blonde

En 1990, huit ans après le précédent, La Vierge de glace, paraît le quatrième roman de Marc Behm, Afraid to Death. Il est d’abord publié en France, traduit par Nathalie Godard pour les éditions Sombres Crapules sous le titre de Trouille. Il ne sera édité chez les anglo-saxons que dix ans plus tard.

Joe Egan a toujours fui. Lors de la partie de poker qu’il dispute chez Maxie, par exemple, une simple réflexion suffit à ce qu’il prenne ses jambes à son cou. On lui avait pourtant juste dit qu’il venait de gagner avec “une main de mort”.

Cela remonte à ses onze ans, lorsqu’il a rencontré une femme blonde qui, après avoir échangé avec lui sur Ein Deutsches Requiem de Brahms qu’il connaissait phonétiquement par cœur, lui a demandé où habitait M. Morgan. L’après-midi même, il apprenait sa mort et lui revenait en tête la traduction que la femme blonde lui avait faite des paroles du morceau de Brahms.

Voyez, toute chair est comme l’herbe

Hélas ! L’herbe se flétrit et la fleur se fane

Il a à peine le temps de mettre en doute ce qu’il soupçonne n’être pas une coïncidence que la femme blonde aux yeux violets réapparait quelques minutes avant la mort de sa mère. Cette fois, il comprend qui elle est. Il parvient toutefois à tempérer sa peur grâce au pasteur qui lui dit que, de toute façon, la mort vient vous chercher un jour ou l’autre.

Les années ayant passé, il a trouvé un travail et une petite amie qui deviendra sa femme, Ada. Leur vie sexuellement débridée est également facilitée par son activité extra-professionnelle, il joue très bien au poker et pourrait en vivre. Quand la femme blonde réapparait, la peur ressurgit et il s’enfuit. Une fuite qui devient son nouveau mode de vie. Où qu’il aille il est toujours prêt à partir. Dès qu’il sent la présence de la femme, il laisse tout tomber, chacune de ses apparitions correspondant à une mort dans son entourage.

Décrit comme je viens de le faire, on pourrait se dire qu’il s’agit d’un roman particulièrement sombre, morbide, mais c’est avant tout un roman rythmé, échevelé, rocambolesque. Chaque fuite emmenant Joe vers une nouvelle ville, une nouvelle vie. On sourit à la peur irrationnelle de Joe, à ses réactions excessives, paranoïaques, qui l’empêchent de nouer des relations suivies avec qui que ce soit, à mener une vie normale, ordinaire. A force de bouger dans tous les sens, de s’agiter, on pourrait même se dire qu’il sera repéré plus facilement. C’est léger, rythmé, mais en même temps, cette course contre la mort, est prenante. Joe s’isole, vit sans attache, seul la plupart du temps, passant des mois dans un carton, dans des maisons isolées, puis reprenant sa course folle.

On pense tous que l’union fait la force. […] Le nervi de la mafia a sa famille, le catholique son église, le juif sa tribu, Lou Gerhig son équipe de base-ball. […] Mais à la fin, chacun meurt de la même mort solitaire, aussi seul qu’un vieux loup galeux se traînant dans les bois gelés.

Comme la plupart des personnages de Behm, il ne prend pas le temps de réfléchir ou quand il le fait, ses réflexions sont vite oubliées. Il agit en ne pensant qu’à lui, affolé la plupart du temps, même si parfois il parvient à trouver des moments de repos, paisibles, marqués par la lecture, bien souvent, notamment celle de Shakespeare, incontournable pour le romancier. Il ne pense qu’à sa survie, au sens propre. La course en avant est là, presque en miroir de celle de Mortelle randonnée. Nous sommes cette fois du côté de celui qui est poursuivi car on doute tout le temps que cette femme blonde soit celle qui apporte la mort, qui la prodigue, la dispense, même si les indices probants sont là. Mais ils font peut-être parties de la folie du personnage.

Joe croise quelques personnages à plusieurs reprises, constituant ses connaissances, ayant pour la plupart en commun une certaine folie, une façon de vivre en dehors de la société, souvent objets de portraits savoureux. Il y a Milch, le travesti effrayant, Nellie, l’amie d’enfance, Iraq, la medium, Maxie, la joueuse professionnelle souffrant de hausses de tension. Ils finissent par remplir sa vie, une vie follement pleine, débridée, terrifiée à en mourir. Dont au final il restera quoi ?

Son esprit engourdi n’était forgé que de choses oubliées.

Marc Behm est décidément un auteur savoureux, rare. Son roman suivant paraît un an plus tard et s’intitule A côté de la plaque.

4 réflexions sur “Marc Behm, Joe Egan et la dame blonde

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