Après sa tétralogie, David Peace a pris du temps pour continuer son exploration de l’Angleterre. L’Angleterre et le Yorkshire, ou le Yorkshire comme partie prenante de l’histoire du pays. Mais avant, il s’est un peu aéré.
Pour se reposer, aller voir ailleurs, il nous offre tout d’abord deux textes réunis dans un bouquin, M comme menace, l’un écrit pendant sa tétralogie (2001), en marge, et l’autre commis juste après en être venu à bout (2003). Deux nouvelles qui nous offrent comme un peu d’air, un dépaysement. Nous ne sommes plus dans le Yorkshire, Peace nous donne un aperçu de son existence du moment. A sa manière. Pas de regard vers son pays, nous sommes cette fois au Japon. Le Japon, son pays d’adoption, à l’époque. Juste un coup d’œil, il en reparlera plus tard.
Les deux courtes nouvelles nous offrent tout le talent de l’auteur, ce talent à faire monter la peur, la terreur. Il écrit ces deux nouvelles comme deux récréations, presque plus légères. Plus courtes que les romans précédents, elles n’en atteignent pas l’ampleur mais donnent assurément un aperçu de son talent. Son talent à habiter des personnages notamment. J’ai évoqué ces deux textes ici.
Il retourne ensuite vers son pays, vers son passé.
Une année dans la vie de l’Angleterre. Une année pas prise au hasard… L’Année des années quatre-vingt, 1984. Celle des grandes grèves, des grands mouvements… Peace n’a pas intégré ce roman à la série précédente bien qu’il la suive chronologiquement. Cette fois, il n’est plus question de l’étrangleur du Yorkshire, on aborde un fait qui a marqué le pays. Un fait social. Peace continue de régler ses comptes avec sa jeunesse. Il revient sur un autre événement qui a marqué son adolescence. Thatcher contre les ouvriers… Un pays en plein chamboulement et qui ne sera plus le même après cette année. Cassé.
De mars 1984 à mars 1985, Peace nous conte les événements à travers le destin de plusieurs personnages. Il nous offre encore un récit plein, prenant et déstabilisant. On le serait à moins avec ce qui secoue le comté et le reste du pays. Chaque chapitre est précédé d’un extrait de journal, un journal qui nous est livré comme ça, sans aération, en continu, brut.
Brut, comme le style de Peace, un style sans fioriture, direct. Mais un style qui finit, comme dans le Red Riding Quartet, par nous offrir une description de personnages particulièrement fouillée. Nous sommes une nouvelle fois dans leurs pensées, dans ces préoccupations qui parfois parasitent ce qu’ils vivent. Les chamboulements qui maltraitent l’Angleterre sont aussi vécus par chacun, vécus dans leur chair. GB 84 (2004) est particulièrement éprouvant, un roman noir, social, un roman qui nous offre de suivre l’intrigue de tous les points de vue, grévistes, politiques, casseurs de grève… Rien n’est laissé à l’écart et ça vous frappe, vous met k.o.
Avec ce roman, Peace confirme tout ce qu’il avait montré précédemment…
Pour continuer à nous décrire, à disséquer son Yorkshire natal, David Peace explore ensuite un nouveau pan de la culture populaire du coin. De ce qui peut marquer de manière indélébile une époque, le championnat anglais. Le championnat de foot.
Après le fait divers, les mouvements sociaux, nous voici au cœur du sport qui fait vibrer la nation tout au long de l’année. Il se retourne vers une année, enfin, beaucoup moins qu’une année, quelques jours, quarante-quatre exactement, où le Yorkshire a vibré pour son équipe de Leeds, l’année qui a suivi sa victoire en championnat, celle qui a vu arriver Brian Clough pour la diriger.
Les personnages n’étaient déjà pas tous fictifs dans les romans précédents, cette fois, dans 44 jours (2006), aucun ne l’est. Et plutôt que de suivre tout un public, Peace décide de suivre un homme, un homme qui va tenter de se faire accepter dans ce coin où il ne fait visiblement pas si bon vivre. Où l’acclimatation n’est pas si simple. Et cet homme n’est pas n’importe lequel, considéré comme l’un des plus grands entraîneurs anglais, il suit pas à pas Brian Clough dans ce qui aura été l’un de ses plus cuisants échecs… Car la constante de Peace est bien de décortiquer, de s’attarder sur l’échec. Après les atermoiements d’une police dépassée par une série de meurtres, ceux d’une nation dépassée, détruite par les nouveaux rapports économiques, il nous montre la difficulté à bien mener un boulot qui pourrait demander du temps mais qui n’en laisse pas… Il faut être efficace tout de suite, pas le temps de s’installer. Le public ne fait pas de cadeau.
Brian Clough se rattrapera ensuite avec Nottingham Forest.
Après avoir sondé, autopsié, sa région, Peace a décidé de s’intéresser à ce pays où il a vécu une quinzaine d’années, le Japon. La trilogie est en cours, j’y reviendrai.